MOLK, Jules

 

Né le 8 décembre 1857 à Strasbourg
Décédé le 7 mai 1914 à Nancy

Mathématicien français

Extrait de L'Enseignement Mathématique, Vol 16 (1914)

« La Faculté des Sciences de Nancy vient de perdre un Professeur éminent dont l'enseignement était hautement apprécié de tous ceux qui ont suivi ses cours ; la science française perd aussi un homme de valeur qui a rendu de grands services aux sciences mathématiques.
Jules Molk, naquit à Strasbourg le 8 décembre 1857. Sa famille a laissé, dans l'histoire de sa ville natale, des souvenirs impérissables ; plusieurs de ses ancêtres ont joué un rôle actif dans l'administration de la ville libre de Strasbourg. D'autre part le père de notre collègue a fait preuve, pendant la période douloureuse de 1870-71, d'un dévouement dont les vieux Strasbourgeois ont conservé pieusement le souvenir ; il a en effet dirigé, pendant et après le siège, le restaurant populaire de la Halle Couverte qui rendit des services considérables, non seulement aux habitants, mais encore plus tard à tous les prisonniers français qui traversaient Strasbourg pour rentrer en France.
Tous les spectacles que notre collègue eut sous les yeux pendant son enfance ont contribué à conserver et à développer chez lui l'attachement à sa ville natale et c'est toujours avec une profonde émotion qu'il rappelait les souvenirs de Strasbourg et de sa patrie à laquelle il conservait un culte filial.
Jules Molk fit ses premières études au Gymnase protestant de Strasbourg, fondé par Sturm; il y apprit les éléments du calcul pratique enseigné par un maître aussi distingué que modeste, Ledermann ; il fut ensuite élève de l'École Professionnelle de Mulhouse alors dirigée par Émile Cherbuliez qui lui enseigna les éléments des mathématiques.
Il fît, de 1874 à 1877, des études complètes à l'École Polytechnique fédérale de Zurich dont il acquit le diplôme ; il y suivit les cours de Édouard Méquet, de C.-F. Geiser et de G. Frobenius; ces maîtres développèrent chez lui le goût des études théoriques qu'il savait allier au sens des réalisations pratiques.
Il continua ses études à Paris et à la Sorbonne où il acquit les grades universitaires français ; il eut alors pour professeurs : Hermite, Bouquet, Bonnet, Tisserand, Jules Tannery, dont il devint plus tard le collaborateur et l'un des meilleurs amis.
Nommé secrétaire-rédacteur de la Bibliothèque de l'École des Hautes-Études le 21 mars 1882, il profita bientôt des facilités qui lui étaient offertes de continuer ses études en Allemagne, pour se diriger vers l'Université de Berlin dont les maîtres jouissaient alors d'un renom considérable.
De 1882 à 1884, il y suivit les cours de K. Weierstrass, de H. Helmholtz, de G. Kihchhoff et surtout de L. Kronecker ; les leçons de ce dernier sur l'Arithmétique supérieure et l'Algèbre eurent une influence considérable sur Jules Molk qui s'attacha à approfondir et à éclaircir les idées de l'éminent mathématicien dont il devint presque le collaborateur et le confident.
Les recherches personnelles de Jules Molk, jointes à différentes questions tirées des cours de Kronecker et qu'il mit au point, fournirent le sujet de la thèse qu'il soutint au mois de juillet 1884 à la Sorbonne pour obtenir le grade de Docteur es sciences mathématiques. Il fut alors nommé Maître de Conférences à la Faculté des Sciences de Rennes (28 octobre 1884) ; là il se lia surtout avec Morin, dont l'esprit critique et le sens profond l'avaient attiré.
Le 28 octobre 1885, il fut envoyé comme chargé de cours à la Faculté des Sciences de Besançon ; il y enseigna la mécanique, d'abord comme chargé de cours, puis comme professeur titulaire (1er mars 1888).
La chaire de Mathématiques appliquées étant devenue vacante à la Faculté des Sciences de Nancy, à la suite du décès de Mathieu, il demanda son transfert et y fut nommé le 18 décembre 1890 ; lors de la création d'une nouvelle chaire en 1898, il fut nommé professeur de mécanique rationnelle (26 décembre 1898), fonction qu'il conserva jusqu'à sa mort survenue le 7 mai 1914.
Il obtint successivement des avancements mérités et il était Chevalier de la Légion d'Honneur depuis le 15 juillet 1909.
L'influence de Jules Molk à la Faculté des Sciences de Nancy fut considérable. Ses méthodes d'enseignement si claires et si précises lui attiraient l'estime de tous ses auditeurs qui voyaient en lui un guide sûr, développant leur initiative personnelle ; il contribua aussi pour une large part au succès des différentes créations de l'Université de Nancy, et en particulier de l'lnstitut Électrotechnique et de Mécanique appliquée. Il avait gardé le souvenir de l'enseignement qu'il avait reçu à Zurich et il cherchait par tous les moyens à créer à Nancy un centre d'instruction supérieure à la fois théorique et technique qui put remplacer pour les jeunes gens français et étrangers, l'École polytechnique de Zurich ; il eut la joie de voir le succès toujours croissant de cet Institut, couronner les efforts qu'il avait faits et rendre en quelque sorte hommage aux vues qui l'avaient guidé.

Les œuvres de Jules Molk se rattachent à trois ordres d'idées
1° L'Arithmétique au sens de Kronecker.
Il publia un premier article Sur les unités complexes inséré dans le Bulletin des Sciences Mathématiques et Astronomiques (2e série), t. VII, 1883, 1ère partie, p. 133 et 136.
Il rédigea sa thèse Sur une notion qui comprend celle de la divisibilité et sur la théorie générale de l'élimination, publiée dans les Acta Mathematica, t. VI, p. 1 à 106 (1884). Ce travail considérable est un développement, avec compléments personnels, du grand mémoire de L. Kronecker Grundzuge einer Arithmetischen Théorie der Algebraischen Grôssen ; Festschrift zu Herrn E.-E. Kummers Doctor Jubiläum (Berlin 1882).
Il fit ensuite une traduction d'un mémoire de Lipschitz Recherches sur la transformation par des substitutions réelles d une somme de 2 ou de 3 carrés en elle-même. Journal de Mathématiques pures et appliquées, 4e série, t. II, 1886, p. 373; il y étudie les nombres complexes entiers dont la norme est un entier donné et il généralise aux quaternions entiers.
Il publia aussi dans le Bulletin des Sciences Mathématiques, 2e série, t. XIV (1890), 1ère partie, p. 186 et 228, une Exposition de la, démonstration donnée par K. Weierstrass, des théorèmes de Lindemann sur la fonction exponentielle (transcendance des nombres e et π).

2° Les relations qu'il entretint avec Jules Tannery eurent pour résultat la publication, en collaboration avec lui, d'un grand ouvrage en quatre volumes sur les Éléments de la théorie des fonctions elliptiques. (Paris Gauthier-Villarsj.
1er Volume, 1893. Introduction. Calcul différentiel (1ère partie).
2e Volume, 1896. Calcul différentiel (2e partie) ;
3e Volume , 1898. Calcul intégral (1ère partie) ;
4e Volume, 1902. Calcul intégral (2e partie), et applications.
Cet ouvrage fondamental a pour but de donner aux élèves des Facultés des Sciences, en commençant par les notions les plus élémentaires, un exposé des beaux travaux modernes relatifs aux fonctions elliptiques et à leurs applications en partant du point de vue de Weierstrass (Voir le compte rendu de M. Andoyer dans le Bulletin des Sciences Mathématiques , 2e série, t. XVIÏ, 1893, p. 205).

3° Depuis la publication de cet ouvrage sur les fonctions elliptiques, Jules Molk s'est donné tout entier à une oeuvre fondamentale qui doit réunir et fixer les documents accumulés jusqu'aujourd'hui sur les sciences mathématiques et leurs applications au point de vue historique et bibliographique ; cette oeuvre est l'Encyclopédie des Sciences mathématiques pures et appliquées.
Entreprise par les Académies des sciences de Gôttingen, de Leipzig, de Munich et de Vienne, l'Encyclopédie a été d'abord rédigée en langue allemande, mais il était du plus grand intérêt d'en avoir une édition française. Cette édition dont se chargea notre collègue, a été commencée en 1902 et le premier fascicule a paru en 1904 ; elle ne constitue pas une simple traduction de l'ouvrage allemand, et les additions qu'y ont apportées Jules Molk et ses collaborateurs, en ont. fait un ouvrage en quelque sorte nouveau, adapté aux lecteurs de langue française. Cette Encyclopédie, ainsi présentée successivement dans les deux langues en tenant compte des qualités particulières d'exposition des deux peuples, embrasse l'exposé des découvertes faites dans tout le domaine des sciences mathématiques et dans leurs applications à la Mécanique, à la Physique, à la Géodésie et à l'Astronomie.
Tous les savants du monde entier s'intéressent à cette publication, qui a un succès considérable et à laquelle le nom de Jules Molk restera attaché ; notre collègue s'est en effet dépensé tout entier et a mis au service de la Science son esprit clair et méthodique, faisant des démarches personnelles auprès des savants de tous les pays et servant de trait d'union entre tous ceux qui ont collaboré à cette oeuvre magistrale.

Les Académies les plus célèbres ont tenu à honneur de compter Jules Molk parmi leurs membres. Il était membre de l'Académie Léopoldine Carolina à Halle, docteur honoraire en philosophie de l'Université de Padoue et de celle de Giessen. L'Académie des sciences de Paris lui avait décerné en 1912, le prix Binoux comme récompense de ses travaux et de la publication française de l'Encyclopédie.
En dehors de cette oeuvre, Jules Molk trouva encore le temps d'analyser plusieurs publications étrangères et de faire des comptes rendus dans le Bulletin des sciences mathématiques ; il était le collaborateur assidu de ce Bulletin et il y envoyait régulièrement les analyses des mémoires insérés dans les comptes rendus de l'Académie des Sciences de Berlin, ainsi que l'Académie des Sciences de Munich.

La lourde tache qu'il s'est imposée a contribué à abréger son existence si bien remplie, et il est mort avant d'avoir pu réaliser en entier le programme qu'il s'était tracé ; son souvenir reste vivant dans la mémoire de ses collègues et de tous ceux qui l'ont approché, il est pour eux un modèle de devoir et de probité scientifique. »
H. Vogt (Nancy).






Vue classique
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