Né le 5 janvier 1838 à Croix-Rousse
Décédé le 21 janvier 1922 à Paris
Extrait de
l'article de Henri VILLAT, Journal de Mathématiques,
9e série, t. I, fasc. 1, 1922
Fils d'Alexandre Jordan, ingénieur des Ponts et Chaussées,
depuis député à l'Assemblée nationale, et de Joséphine Puvis de Chavannes, sœur
du peintre, petit-neveu de Camille Jordan, l'orateur et l'homme politique du
Conseil des Cinq-Cents et de la Restauration.
Après de solides études au Collège d'Oullins et au Lycée de Lyon, il entre à l'École
Polytechnique en 1855 ; il en sort dans le Corps des Mines, et devient
ingénieur des Mines à Privas, Chalon-sur-Saône, puis à Paris (1867).
Entre temps, il soutient, en 1861, ses Thèses de Doctorat. 1873 le voit
examinateur à l'École Polytechnique, où il devient professeur en 1876 ; il
devait le demeurer jusqu'à sa retraite en 1912. Appelé au Collège de France
pour suppléer A. Serret, il y reste professeur titulaire de 1883 à 1912 : ses
cours dans ces deux grandes Écoles ont une juste célébrité.
Jordan a remplacé Chasles à l'Institut de France en 1881 ; il fut
vice-prédident de l'Académie des Sciences en 1915, président en 1916. En 1885,
il avait succédé à Résal dans la direction du Journal de Mathématiques.
Émile PICARD
Résumé des travaux mathématiques de Camille
Jordan
Comptes-rendus hebdomadaires des séances de
l'Académie des Sciences. Séance du 23 janvier 1922
Les recherches de Camille Jordan ont eu tout
particulièrement pour but d'approfondir la théorie de l'ordre au point de vue
de la Géométrie pure et de l'Analyse. Au début de sa carrière, il s'est occupé
des polyèdres dans un beau Mémoire consacré, en fait, à la Géométrie de
situation, et dans un autre travail, il a donné la condition pour que deux
surfaces ou portions de surfaces, flexibles et extensibles à volonté, soient
applicables l'une sur l'autre sans déchirure ni duplicature. Ses travaux sur la
symétrie et sur les groupes de mouvement ont devancé les recherches modernes
sur les groupes de transformations, et ont été utilisés par les théoriciens de
la cristallographie. Ils portaient déjà la marque de la puissance d'esprit de
leur auteur.
Mais c'est surtout dans la théorie des substitutions et
des équations algébriques que Jordan laisse une trace profonde. Dans un Ouvrage
considérable sur les Substitutions, il a fait une étude approfondie des
idées de Galois, en y ajoutant des résultats fondamentaux sur les
groupes primitifs, les groupes transitifs et les groupes composés, dont un des
plus importants est relatif aux facteurs de composition d'un groupe. Ces études
ont permis à Jordan de résoudre un problème posé par Abel, celui de
rechercher les équations de degré donné résolubles par radicaux et de
reconnaître si une équation rentre ou non dans cette classe. D'autres travaux
se rapportent aux formes algébriques et aux groupes linéaires d'ordre fini, ce
qui l'a amené à étudier les équations différentielles linéaires à intégrales
algébriques.
Plus récemment, Jordan a été un précurseur dans la théorie
des fonctions de variables réelles. Il a introduit dans cette partie de
l'Analyse, la notion capitale de fonction à variation bornée. Non moins
célèbres sont ses études sur les courbes, universellement désignées sous le nom
de courbes de Jordan, qui séparent le plan en deux régions distinctes. On lui
doit aussi d'importantes propositions sur la mesure des ensembles, qui ont
ouvert la voie à bien des recherches modernes.
Tous les travaux de Jordan dénotent une rare profondeur
d'esprit et une extraordinaire puissance d'abstraction. Il se jouait au milieu
des discussions les plus subtiles sur des concepts comme ceux de groupes ou de
substitutions, se plaisant à aborder les questions dans toute leur généralité,
comme s'il craignait que quelque particularité l'empéchât de voir les vraies
raisons des choses. Jordan a été vraiment un grand algébriste; les notions
fondamentales qu'il a introduite en Analyse préserveront son nom de l'oubli.
Henri
LEBESGUE
Notice sur la vie et les travaux de Camille
Jordan
Mémoires de l'Académie des Sciences, 2e
série, t. 58, 1923
A la fin du XVIIIe siècle, la question de la
résolution par radicaux de l'équation générale du cinquième degré était à
l'ordre du jour. Après avoir prouvé que cette résolution est impossible, Abel
se posa les deux problèmes suivants :
- Former les équations de degré donné qui sont résolubles par radicaux ;
- Une équation étant donnée, reconnaître si elle est ou non résoluble
par radicaux et effectuer cette résolution lorsqu'elle est possible.
Abel réussit à résoudre ces problèmes pour les équations de degré
premier. "Lorsque le degré de l'équation est un nombre premier, écrit-il à
son ancien professeur, devenu son ami, Holmbœ, la difficulté n'est pas si
grande ; mais lorsque le nombre est composé, le diable s'en mêle."
Le résultat principal de Jordan est la résolution de ces deux problèmes
; mais il en est bien d'autres que Jordan traite en même temps. Par exemple,
ceux relatifs à la résolution des équations, non plus à l'aide de radicaux,
mais à l'aide de racines d'équations de degrés inférieurs.
Parmi tous les énoncés de Jordan je choisis le suivant parce qu'il
généralise le théorème d'Abel, origine de toute la théorie : l'équation
générale de degré n > 4 ne peut
être résolue au moyen d'équations de degré inférieur.
Dans ses recherches, Jordan utilise la géniale méthode de Galois,
dont le point essentiel est l'introduction d'un certain nombre de
substitutions, déjà aperçu par Lagrange, que l'on peut attacher à chaque
équation algébrique et dans lequel les propriétés des équations se reflètent
fidèlement. Mais pour savoir observer dans ce miroir, il faut avoir appris à
distinguer les diverses qualités des groupes de substitutions et à raisonner
avec elles? C'est ce qu'a fait Jordan avec une habile ténacité et un rare
bonheur ; dans son Traité des
Substitutions et des équations algébriques, où il a réuni et coordonné
ses recherches, les propriétés des équations dérivent tout de suite de celles
des groupes de substitutions.
Les principales qualités des groupes qui servent à Jordan sont caractérisées
par les qualificatifs transitif ou intransitif, primitif ou imprimitif, simple
ou composé. Le théorème de Jordan sur la composition des groupes est le plus
connu de tous ses résultats ; il entraîne cette conséquence fondamentale : il
n'y a pas lieu de choisir entre les différents procédés de résolution
algébrique d'une équation ; ils sont tous équivalents et conduisent aux mêmes
calculs, à l'ordre près. Si les théorèmes de Jordan sur la transivité et la
primitivité sont moins connus, c'est que, jusqu'ici, les traités didactiques
s'occupent seulement des propriétés générales des équations et non des
problèmes d'Abel. Ils ne se proposent donc pas de préparer le lecteur à des
calculs effectifs, ce qui est, au contraire, le but de Jordan. Aussi, quantité
de renseignements ne peuvent-ils se trouver, aujourd'hui encore, que dans le
Traité des substitutions...
Les résultats obtenus ont attiré l'attention de ceux qui
avaient antérieurement travaillé sur les différents sujets ainsi touchés par
Jordan. Pour retrouver autrement ces résultats, ou pour les prolonger, Klein,
Geiser, Brioschi, Clebsch, Cremona, Sylvester, ont écrit des Mémoires qui ont
hâté la diffusion des théorèmes de Jordan et ont manifesté leur importance ;
aussi, avant même qu'il n'ait quarante ans, Camille Jordan est-il universellement
considéré comme l'un des tout premiers géomètres de son temps...
Son amour de l'analyse l'oblige à en élargir les cadres.
C'est par là surtout que Jordan diffère de ses contemporains ; par ses
recherches il nous a prouvé que la géométrie pouvait rendre à l'analyse des
services comparables à ceux qu'elle en reçut. A ce revirement auquel nous
assistons, le nom de Jordan restera éternellement attaché avec celui du génial Riemann.
Encore faut-il ajouter que, chez Riemann, le rôle de l'intuition spatiale apparaît
clairement seulement à l'occasion des surfaces de Riemann, tandis qu'il est
constamment évident, chez Jordan, dans ses études fouillées de certaines
notions premières des mathématiques.
Qu'est-ce qu'une aire, se demande-t-il ? qu'est-ce qu'un volume, une intégrale,
la longueur d'un arc de courbe ? qu'est-ce même qu'une courbe ou un domaine ?
Il étudie ces questions en mathématicien et non en métaphysicien ; il le fait
dans son Cours d'Analyse et en
vue de l'analyse ; ainsi, à côté de la magnifique exposition qu'il donne de la
théorie des variables complexes, il commence l'édification d'une théorie des
variables réelles si intimement liée et si utile à sa voisine que les
barrières, élevées entre elles par des habitudes ou des préjugés, tombent
d'elles-mêmes. Après Jordan, on ose étudier les fonctions réelles générales, un
peu oubliées au cours du XIXe siècle ; on avoue de nouveau que
l'analyse a pour but l'étude du réel, de celui même qui ne se laisse pas
prolonger dans le domaine complexe...
Chez lui l'élégance, haute et puissante, était généralité,
clair enchaînement des idées, courageuse audace devant les difficultés, dédain
des artifices.
Ces qualités maîtresses donnent à son Cours
d'Analyse un attrait particulier. Jordan l'a d'ailleurs travaillé avec prédilection,
utilisant au cours des éditions successives, comme seul, peut-être, il pouvait
le faire, les travaux les plus récents et portant sur des sujets extrêmement
variés. C'est ainsi que, dans la seconde édition, on trouve à la fois un exposé
de théories sur les ensembles, dues à Cantor, et un véritable traité des
fonctions elliptiques, le premier qui ait été construit en France à partir des
idées de Weierstrass.
En 1912, il traite de la théorie toute nouvelle des
équations intégrales et, de tous les travaux, il utilise surtout les plus
récents, ceux d'Édouard Goursat.
Si le Cours de Jordan est riche d'innovations, on y trouve aussi les trésors du
passé et même ses souvenirs. Jordan est volontiers un novateur traditionaliste
; il conserve la division surannée en calcul différentiel et calcul intégral ;
mais, comme ses réflexions lui ont fait reconnaître en l'intégrale la plus
simple, la plus intuitive, la plus primitive de toutes les notions de
l'analyse, il commence l'exposé du calcul différentiel par la définition de
l'intégrale.
Référence: 018
Chez Jordan l'élégance, haute et puissante, était généralité, clair enchaînement des idées, courageuse audace devant les difficultés, dédain des artifices. |
135,00 €
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Référence: 021
Le but de cet Ouvrage est de développer les méthodes de Galois et de les constituer en corps de doctrine, en montrant avec quelle facilité elles permettent de résoudre tous les principaux problèmes de la théorie des équations. Pour en faciliter l'intelligence, nous avons pris notre point de départ dans les éléments, et nous y avons exposé, outre nos propres recherches, tous les principaux résultats obtenus par les géomètres qui nous ont précédé. Mais nous avons souvent modifié assez profondément l'énoncé et le mode de démonstration de ces propositions, afin de tout ramener à des principes uniformes et aussi généraux que possible. |
79,00 €
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